d’après Véronique GEORGES, journaliste, Var-Matin, le 06 décembre 2020
La Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) s’inquiète de la forte hausse des prix du foncier, alimentée par grands investisseurs qui contournent la régulation du marché.
Dans une région où la pression foncière est maximale, les menaces pour l’équilibre économique agricole et la vitalité des territoires sont en jeu.
Patrice Brun, le président de la Safer, pointe du doigt la cession du foncier via la vente de parts sociales, qui représente en région Provence-Alpes-Côte d’Azur un marché équivalent à l’activité annuelle de la Safer.
160 MILLIONS D’EUROS DE CESSIONS EN 2019
« La vente des parts sociales est une faille qui permet de contourner le rôle de régulation des Safer, précise-t-il. Le principe est simple : il suffit que le vendeur conserve un pourcentage même minime de parts d’une société agricole pour que la Safer se retrouve hors-jeu. »
« Elle ne peut plus rien contrôler, tant en matière de contrôle des structures qu’au niveau des prix. Nous avons ainsi vu un domaine estimé à 20 millions d’euros, qui s’est vendu le double. Cela perturbe tout le marché avoisinant. »
Et même si le prix du parcellaire ne suit pas automatiquement celui des grands domaines, l’impact n’est pas négligeable : « De l’ordre de 20% environ », estime Patrice Brun.
Tous les départements de la région sont concernés. « 160 millions d’euros de parts sociales ont été cédés en 2019 dans la région. Mais le Var est celui où elles sont les plus importantes, avec presque cent millions d’euros de transactions, suivi des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse », indique-t-il.
« L’outil est intéressant en vue d’une transmission lorsqu’il y a plusieurs héritiers. Si 90% des cessions s’effectuent dans ce cadre familial, les 10% restants sont problématiques et représentent à eux seuls 90% du montant global. »
Ces opérations problématiques sont portées par de grands investisseurs, d’origine française (groupes industriels ou familles fortunées) ou étrangère (milliardaires, célébrités).
Le risque est double : se retrouver avec une concentration excessive de grosses maisons à la tête des exploitations et voir le prix du foncier flamber davantage.
« Certains prédisent un changement de la Provence à la champenoise, où le prix de l’hectare atteint le million d’euros », souligne un expert du monde viticole.
Mais les conséquences dépassent la question foncière puisque « l’ampleur du phénomène peut entraîner un impact sur l’activité économique agricole, mais aussi sur l’ensemble du tissu rural et des communes », selon le président de la Safer.
« Cela pousse à une simplification et une rationalisation des modes de production et à une baisse de la valeur ajoutée, avec une typologie d’exploitation plutôt tournée vers la grande distribution ou l’export, alors que la tendance actuelle va vers un développement des circuits courts. »
BESOIN D’UNE LOI FONCIÈRE !
Voilà pourquoi la Safer Paca appelle de ses vœux, rapidement, un décret pour renforcer les contrôles, en attendant une loi foncière, amorcée l’an passé, puis abandonnée.
« Si les cessions de parts perdurent et si une nouvelle loi foncière ne donne pas aux commissions départementales d’orientation agricole et aux Safer les moyens de réguler le marché, l’accès des exploitations familiales au foncier deviendra de plus en plus difficile », prédit Patrice Brun.
« Défendre l’accès au foncier de toutes les agricultures face aux stratégies d’accaparement des terres d’une minorité reste la ligne de vie de l’aménagement foncier. »
Des investisseurs qui défiscalisent localement
Interview de Max Lefèvre, Directeur général de la Safer Paca, Var-Matin, le 06 décembre 2020
Qui sont les investisseurs qui achètent au-dessus du prix du marché ?
On ne peut pas diffuser de nom de groupe ou de personne physique. La Safer reçoit l’ensemble des notifications de toutes ces transactions, mais la Commission nationale informatique et liberté nous interdit de communiquer le nom des acquéreurs lorsque, bien entendu, nous n’intervenons pas en préemption. Mais le profil des investisseurs est souvent le même : ce sont soit des groupes français qui disposent déjà de châteaux ou domaines dans toute la France et qui veulent élargir leur gamme de produits au rosé de Provence par exemple, soit des industriels français qui vendent leur affaire à l’approche de la soixantaine et réinvestissent dans un domaine viticole à fort caractère patrimonial. C’est une forme de « défiscalisation » qui est tout à fait locale. Il s’agit d’un réinvestissement dans un outil de travail qui permet d’échapper aux plus-values.
Confirmez-vous que des vignerons, surtout dans le golfe de Saint-Tropez, sont obligés de se délocaliser parce que le prix des parcelles autour de chez eux les rend inaccessibles ?
La délocalisation concerne surtout les mêmes investisseurs qui, il y a quelques années, auraient pu investir dans le golfe de Saint-Tropez, mais qui, aujourd’hui, compte tenu de la présence de grands groupes sur ces territoires, se rabattent ou reportent leur acquisition sur des appellations moins prestigieuses
Que répondez-vous aux agriculteurs qui pensent que la Safer n’est qu’une agence immobilière qui a intérêt à ce que les prix soient élevés pour toucher des commissions sur les transactions ?
C’est un vieux cliché qui a la vie dure mais qui peut se comprendre si l’on ne rentre pas dans la logique de notre modèle économique. C’est vrai que la Safer ne bénéficie d’aucune subvention, elle se rémunère sur la base de prestation de service. Celle-ci varie de 3 à 12%, selon le montant de la transaction. C’est en ce sens que cet agriculteur parle de plus c’est cher, plus on gagne d’argent. Pour être très concret, dans le Var, la Safer réalise une dizaine de dossiers à plus d’1 M€ et 200 dossiers de moins de 75.000€. Nous utilisons les marges dégagées sur les gros dossiers pour autofinancer notre mission de service public : transmission de domaine, installation de jeunes, restructuration parcellaire, protection de l’environnement… Et surtout la régulation des prix. Au niveau de la région Paca, la Safer révise le prix à plus de 300 reprises par an et environ 70 fois dans le Var. Je ne connais pas d’agences immobilières qui révisent le prix à la baisse. De même, nous préemptons à 300 reprises en Paca pour éviter le changement de destination des terres ou l’agrandissement de certaines structures. Enfin, il ne faut pas oublier que la Safer est régionale et que les marges dégagées dans les départements littoraux nous permettent de travailler sur des dossiers majoritairement d’aménagement parcellaire qui sont chronophages et non lucratifs. Dans le Var, la Safer accompagne aussi la chambre d’agriculture dans son projet de reconquête des friches, c’est un projet exemplaire qui, outre le fait de remettre en culture des terres, permettra de lutter contre les incendies.